Sortir de l'emprise
Le processus d’entrée dans l’emprise sectaire est un processus similaire et repérable chez de nombreux adeptes. A quelques variantes près en fonction de l’histoire du sujet, le processus reste similaire parce qu’il est induit par le gourou et son mouvement sectaire, qui ont tous une même façon de procéder. Celle-ci s’articule autour d’un fonctionnement pervers dans une sorte de piège que le futur adepte, suivant son état de vulnérabilité, ne peut éviter. En revanche, le processus de sortie de l’emprise sectaire s’effectue non pas du côté du gourou mais du côté de l’adepte. Au travers différents témoignages d’ex-adeptes, il semble que ce soit un processus beaucoup plus individuel et singulier propre à chaque adepte, s’appuyant sur l’intimité de son histoire personnelle et de ce qui fonde son propre désir.
Ce processus individuel peut s’opérer à partir du moment où quelque chose de l’extérieur vient, de par le sens que l’adepte lui donne au travers sa subjectivité, en opposition avec le fonctionnement pervers. Cette émergence en opposition au gourou permet la réintroduction du doute, ou tout au moins, le rend à nouveau possible. C’est comme si ce tiers, en s’opposant au fonctionnement pervers du lien sectaire, permettait d’opérer une sorte de rotation à l’emprise provoquant alors un trou dans celle-ci. Offrant et ouvrant ainsi à nouveau au futur ex-adepte la perspective du manque.
Pour que ce tiers soit opérant, il est important que l’adepte soit en mesure de le reconnaitre comme tel. Il ne pourra le reconnaitre que si, et seulement si, ce tiers à un sens singulier et unique pour lui et qu’il fait écho à un élément de son histoire personnelle. C’est peut-être une des raisons pour laquelle il est inutile, voir même particulièrement dangereux, de retirer de force du mouvement sectaire une personne sous emprise. Cette volonté tierce s’apparenterait alors à la volonté véhiculée par le fonctionnement pervers du mouvement sectaire dans une opposition mortifère des repères.
C’est ensuite que peut commencer pour l’ex-adepte un long chemin de reconstruction qui demande beaucoup de temps. Cette reconstruction nécessite aussi, pour les ex-adeptes qui en font la demande, une prise en charge spécifique de la part des professionnels accompagnant ces personnes. Car, il faut veiller dans cette prise en charge à ne pas occuper imaginairement une place de gourou et veiller à ne pas reproduire un schéma de fonctionnement pervers.
On se rend compte au travers les témoignages d’ex-adeptes à quel point ces victimes sont marquées par leur expérience traumatisante de l’emprise et de leur trajet parcouru dans le mouvement sectaire. De leur témoignage se dégage une profonde révulsion, surtout par rapport aux actes qu’ils ont été amenés à commettre du fait de leur emprise. Ce qui les révulse est cette jouissance à laquelle ils ont été, malgré eux, conviés.
Cette notion de jouissance n’est pas à entendre sur le versant d’un plaisir éprouvé mais sur le versant d’un réel innommable que l’acte transgressif vient porter à son comble. La révulsion est d’avoir été pris dans une jouissance perverse et d’avoir été contraint de jouir d’elle. La dépersonnalisation que l’adepte subit par l’emprise sectaire l’amène alors à jouir d’une jouissance qui n’est pas la sienne. Le plaisir étant du côté du gourou, pas du sien. C’est comme si, par sa dépersonnalisation et le fonctionnement pervers du mouvement sectaire, l’adepte avait été amené à franchir l’autre côté du miroir, là où il était initialement impossible pour lui d’aller. Un endroit où règne l’horreur de n’être plus rien. Et, quand on est plus rien, tout est possible. Il suffit juste de se laisser guider par la certitude aveuglante.
Cette révulsion de l’ex-adepte que la honte rend à peine audible est aussi une révulsion sur cette jouissance horrible ressentie durant ce temps de l’emprise. Mais, elle devient horrible pour l’ex- adepte qu’à partir du moment où a pu s’amorcer une sortie de l’emprise. Car, sous emprise, cette jouissance, parce qu’elle est portée par une structuration perverse, est de l’ordre de la fascination. Quelque chose auquel on participe sans bouger, ni broncher, un don de son être offert à la toute- puissance du gourou et aux entités qui bien souvent l’entourent.
Sortie de l’emprise, l’ex-adepte se retrouve ainsi face à deux sentiments radicalement différents pour une même jouissance éprouvée. Concernant par exemple la réalisation d’un acte transgressif, le sujet sortant de l’emprise se retrouve face à ce paradoxe que le fonctionnement pervers du mouvement sectaire lui livre « en cadeau ». Un paradoxe que l’on pourrait reprendre sous la forme du ; « je sais bien que je l’ai fait, mais quand même je ne l’ai pas fait ». Ce qui le fascinait hier, le révulse aujourd’hui. C’est par la reconnaissance de ce paradoxe et donc de son état d’emprise, que l’ex-adepte pourra donner un sens à ce paradoxe et amorcer sa longue reconstruction.
Si l’emprise est représentée et représentable, son effet, lui, l’est beaucoup moins, voire peut-être pas du tout. Car, pour une personne étrangère à ce mécanisme d’emprise sectaire, approcher son effet c’est se retrouver face à un fonctionnement de structure perverse. C’est se retrouver face à ce couple « fascination/révulsion » de la jouissance perverse. Et être alors contraint de regarder un spectacle impossible à regarder.
Pour les proches d’adeptes ou d’ex-adeptes, notamment les familles, il est également, du moins dans un premier temps, difficile d’admettre l’existence de l’emprise sectaire. Il y a déjà le choc d’une incompréhensible séparation ou d’une prise radicale de distance à traverser. D’autant plus qu’au départ, aucune explication ne vient donner un sens à ce choc. Et ensuite, malgré elle mais pour aider leur proche, la famille va devoir entrapercevoir l’horreur tapie derrière cette mise à distance soudaine. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur ce désir de venir en aide que cette vision est possible. L’entourage peut entrapercevoir mais ne veut pas forcément savoir.
Le gourou induit un état d’emprise sectaire à sa victime, mais, par « ricochet », il met aussi les familles, non pas dans un état d’emprise, mais quasiment en place de spectateurs forcés d’une pièce de théâtre perverse. Et plus ces spectateurs forcés feront du bruit, et il en faut, plus malheureusement il pourra jouir de l’horreur qu’il lira dans leurs yeux, accentuant alors davantage la pression sur son nouvel acteur. Que les spectateurs fassent du bruit ou non, sa mise en scène est telle que le mot fin retombera toujours sur son acteur. Au fond, un système pervers est l’art de créer des situations paradoxales capables de se tordre à l’infini jusqu’à étrangler la victime et ceux qui tentent de la sauver.
Toutefois, il est préférable que les spectateurs fassent du bruit car c’est une façon de refuser la place dans laquelle le gourou les plonge par « ricochet ». Elles seront alors plus à même de soutenir la reconstruction de leur proche lorsque celui-ci sera sorti du mouvement sectaire et de son fonctionnement pervers.