Atteintes sur la pensée
Le chemin parcouru du doute à la certitude en passant par la croyance est, pour la victime, le vecteur fondamental de l’emprise sectaire. Sa pensée ne doit plus être que certitude en son gourou et en sa doctrine. En privant son adepte du doute possible, le gourou lui enlève toute possibilité de raisonnement et de réflexion. Sa proie n’a plus à se demander si finalement ce que lui dit le maître est vrai ou pas, si finalement il doit y croire ou non. C’est vrai et c’est tout. Par la certitude, le gourou rentre inexorablement dans la tête de sa victime et permet alors un contrôle total de sa pensée et par la suite de ses actes. Car, la certitude facilite l’acte, voir même la transgression. Elle permet de faire des choses sans réfléchir et permet de surcroit une obéissance inconditionnée.
Le basculement de la croyance dans la certitude est favorisé par la mise en scène qui entoure le discours du gourou. Il n’est pas rare que ce dernier face appel à toutes sortes de trucages plus ou moins bien élaborés pour apporter la preuve de ses affirmations. Fragilisé et aveuglé par la séduction, la victime n’y voit alors que du feu et son état de croyance est déjà tel que le moindre doute est alors totalement écarté.
La certitude devient tel que le gourou peut laisser croire à son futur adepte qu’il peut le quitter quand bon lui semble. Car pour la victime, si le détenteur du savoir offre une telle liberté c’est qu’il n’est plus dans la croyance, qu’il n’a pas besoin de témoins pour attester ses dires, et donc, que ce qu’il dit est forcément vrai. Et c’est la preuve également qu’il ne s’agit pas d’une secte, qu’il n’y a rien à craindre..!
L’adepte se retrouve charmé, séduit, conquis et finalement convaincu du pouvoir de cet autre à qui il a confié son manque à être. L’espoir renait et s’ouvre devant lui le temps du bonheur où il se voit particulièrement investi par le gourou. Le nouvel adepte se sent différent des autres dans cette vision du monde radicalement différente de ce qu’il a toujours connu. De se sentir unique, l’élu d’une mission, différent du commun des mortels va contribuer à renforcer l’emprise. Il jubile de devenir l’acteur de sa certitude, aux côtés de son maître. Mais, ce dernier ne veut pas le bonheur de son disciple, bien au contraire. Assez vite, il va jouer et user de l’emprise qu’il a maintenant sur son nouvel adepte pour parvenir à ses fins. Car l’emprise sectaire n’existe que s’il y a la volonté du gourou de « mettre à mort » sa victime en le réduisant à un statut d’objet.
Ce temps du bonheur parfait marque le début d’une coupure avec le monde extérieur et très souvent avec les proches. C’est tellement parfait que ce qui entoure habituellement l’adepte devient négatif et surtout risque de contaminer ce ravissement. Il devient réticent à parler de sa nouvelle expérience aux non- inimitiés. Se dégage une notion de pureté que l’on retrouve systématiquement de façon plus ou moins forte dans tout mouvement sectaire et qui vient donner raison à l’isolement. Le silence de l’adepte sur sa nouvelle expérience et sur sa nouvelle vie est, de plus, souvent encouragé par le gourou lui-même.
Par cette exclusion de l’extérieur, l’emprise sectaire se referme sur l’adepte, celui-ci se retrouve à n’obéir qu’à une seule personne : son maître.
Plus l’adepte se sent heureux et en confiance, plus le gourou va promouvoir sa doctrine. Peu importe si le contenu de celle-ci est insensée, ridicule, loufoque, obscur, ce qui compte c’est qu’elle reste cohérente dans la façon de la dire afin que subsiste la fascination. Le gourou va aussi et surtout dicter les lois qui la régissent. Il signe alors pour son disciple la fin de son temps de bien-être.
La Loi de la société est remplacée par celle du gourou. Par l’émergence d’une loi propre au mouvement sectaire, apparait à la fois l’obéissance mais aussi l’impossibilité d’émettre la moindre critique envers le gourou et sa doctrine. C’est le premier des interdits dont la visée est de renforcer encore un peu plus l’emprise. Cette impossibilité de critiquer permet également d’instaurer une indifférenciation des adeptes entre eux. Toute possibilité d’objections, de réflexions entre les membres à propos du gourou et de sa doctrine devient impossible du fait de cet interdit posé par le maître.
En introduisant des lois autour de sa folle doctrine, le gourou met l’adepte au pied du mur de l’interdit. C’est comme un pavé jeté dans la marre du bonheur parfait. Car avec l’interdit va apparaitre la notion de sanctions et plus encore, celle de la culpabilité. La culpabilité d’avoir enfreint l’interdit, celui de désobéir au gourou ou même pire encore, d’avoir été simplement traversé par cette pensée. Cette notion de culpabilité est fondamentale dans le processus d’emprise sectaire. Elle fait passer le « je ne peux penser qu’au travers mon gourou » à « je ne peux plus penser sans mon gourou ».
Tout ce qui va à l’encontre de la doctrine du gourou ou de ses caprices est dès lors soumis à sanctions. Pour les éviter, l’adepte se voit contraint d’obéir. Les sanctions sont souvent justifiées comme étant la volonté d’un être supérieur ou d’instance extraordinaire, un signe de sa présence. Elles sont, pour l’adepte, le signe que le maître est bien en relation avec quelque chose d’extraordinaire. Elles en signent sa présence.
La mise en place de règles, de lois propres au gourou fait naître « une pression » à la fois individuelle et collective. Mais cette pression permet en même temps un renforcement de la cohésion du groupe autour de la doctrine dans une sorte de secret divin partagé. La nouvelle loi unique et référentielle, l’exclusion avec le monde extérieur et le silence sont les éléments instaurés par le gourou pour un début d’apprentissage à la soumission totale. Celle-ci deviendra effective qu’à partir du moment où l’adepte renonce à se soumettre à la Loi symbolique de la société. Un renoncement demandé par le gourou et permis par la cohésion des adeptes devenus rigoureusement semblables.
Par l’apparition d’interdits là où l’adepte imaginait s’être engagé en toute liberté et par l’instauration d’un jeu émotionnel par la culpabilité, le gourou met en acte véritablement son œuvre de destruction, celle d’une mise en sujétion totale et irréversible de son adepte. Il vise une interdiction de penser et une dépersonnalisation.