Les portes de l'emprise
Toute personne est susceptible de se faire happer par l’emprise sectaire mais à des moments particuliers de sa vie. Dans le cadre du prosélytisme où un mouvement sectaire vient taper à la porte par exemple, ce n’est pas pour autant que tous vont ouvrir et se laisser séduire par un discours idyllique. Mais alors que pour une même personne la porte peut rester fermée à mainte reprises, il se peut qu’une fois, parce que vulnérable ce jour-là (un décès, une difficulté sentimentale, un état dépressif, une révolte…) cette personne accepte de faire entrer ces sirènes pleines d’espoir. Elle accepte la rencontre, mais en aucun cas de « se faire avoir ».
C‘est pour ne plus souffrir, pour ne plus être dans le désespoir, ou encore ne plus être dans un état de faiblesse psychologique que le futur adepte place son attente en une autre personne supposée répondre à ce manque. Sa principale vulnérabilité est cette demande adressée à cet autre de ne plus être confronté au manque ou au mal-être. Le manque traverse tout à chacun de façon plus ou moins marquée au cours de son existence. C’est même le vecteur de sa vie, le support de sa relation aux autres et aux choses et le moteur de sa parole. Mais au cours de l’existence, il peut arriver, au détour des circonstances de la vie, que cette articulation au manque se dérègle au point qu’elle en devient insoutenable. Un vœu impossible apparait alors, celui ne plus être confronté à ce qui nous fait vivre. C’est avec cette forme de demande impossible que le sujet part en quête ou se laisse convaincre d’une possible réponse. Il espère rencontrer celui qui saura répondre à cette demande, mais sans pour autant le faire cesser de vivre. En se présentant comme l’unique réponse, le gourou saisit le futur adepte par sa volonté de toute puissance. En répondant délibérément à cette demande impossible, il fait tomber sur sa proie une véritable mise à mort. Un futur adepte qui n’a jamais été aussi heureux d’avoir la réponse tant espérée.
Le gourou se présente aux yeux de son futur adepte comme détenteur du savoir, un savoir absolu, sans failles. Mais, si cette place de toute puissance, de maître absolu est un socle préalable à l’emprise sectaire, elle n’est pas suffisante à instaurer cette emprise. Beaucoup se positionnent ainsi sans pour autant que l’autre se retrouve assujetti. Ils prennent l’ascendant sur un sujet, usent d’une supériorité plus ou moins réelle mais cela ne va guère plus au-delà.
En fait, deux manœuvres vont s’associer à cette place de maitre absolu : la promotion d’un idéal et la séduction. Aux yeux du futur adepte, la première est vue comme une multitude d’étoiles dans un ciel sans nuages et la deuxième comme un doux chant des sirènes sans aucune fausse note.
En introduisant la promotion d’un idéal, le gourou instaure insidieusement sur sa victime un système de pensées et d’affects basé sur la croyance. En position de faiblesse de par sa vulnérabilité du moment et de par la place occupée par le gourou, le futur adepte à toutes les raisons d’y croire, d’autant plus que cela vient faire écho à sa problématique personnelle. Là où cela aurait dû être perçu par la victime comme : « c’est trop beau pour être vrai, et donc pour y croire », la place de savoir du gourou associée à la promesse d’un bonheur absolu, incite cette victime à percevoir comme : « c’est si vrai pour être beau, que je ne peux qu’y croire ». De plus, la séduction va accentuer la perception de la victime et pousser sa croyance jusqu’à « c’est si vrai et si bien dit pour être beau et rien qu’à moi, que vraiment, je ne peux qu’y croire. »
En utilisant la séduction, le gourou joue sur les affects du futur adepte tout en cajolant son narcissisme. Il feint une attention particulière à ce dernier tout en l’impressionnant positivement. Pour ce faire, il peut utiliser des techniques présentées comme « scientifiques » ou s’appuyer sur des objets particuliers et plus ou moins insolites dans leurs formes ou leur utilisation. Ces objets servent à la fois à représenter le pouvoir du gourou, à le fétichiser et à favoriser la production d’un idéal merveilleux. Ils permettent aussi au gourou de démontrer la force et la toute-puissance de son savoir incroyable. Un savoir qui s’assimile alors à quelque chose de divin.
L’illusion et la séduction vont constituer les éléments premiers d’une mise en scène dont le début du scénario consiste à placer sa victime sous le charme. Parfait metteur en scène et acteur, le gourou sait pertinemment que les manœuvres de ses caméras produiront l’illusion adéquate aux yeux de sa victime : celle de croire combler enfin son manque. C’est le temps du bonheur et l’emprise deviendra effective quand cette croyance se transformera en une certitude.